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Perte de chance de bénéficier d’une aide d’État illégale : un préjudice non réparable

Public - Droit public des affaires
Affaires - Droit économique
14/10/2020
Confirmant sa position déjà affirmée dans des arrêts publiés au bulletin et au rapport annuel de la Cour de cassation, la chambre commerciale rappelle que le préjudice qui résulte de la perte d’une chance de bénéficier d’une aide d’État illégale n’est pas réparable.
Dans trois nouveaux arrêts, la chambre commerciale vient de confirmer la position qu’elle avait affirmé initialement en 2019, dans des cas très similaires (voir Le contrôle des aides d’État incombe aussi aux juridictions nationales, 16 oct. 2019, Actualités du droit). Ici encore les plaignants sont des producteurs d’électricité d’origine photovoltaïque ayant souhaité vendre leur électricité au fournisseur EDF au tarif prévu par un arrêté du 12 janvier 2010. À cette fin, ils avaient transmis au gestionnaire de réseau ERDF (devenu Enedis) une demande de raccordement. Ce dernier devait leur présenter dans un délai de trois mois une proposition technique et financière de raccordement, obligation à laquelle il a manqué. Un moratoire de décembre 2010 a ensuite suspendu l’obligation d’EDF d’acheter l’énergie d’origine photovoltaïque puis de nouveaux tarifs ont été fixés en mars 2011, aux conditions moins avantageuses que celles fixées en janvier 2010. Les producteurs ont donc assigné Enedis en réparation de leur préjudice. Le distributeur a alors fait valoir que ce préjudice n’était pas réparable puisque les avantages desquels les demandeurs auraient souhaité bénéficier constituaient une aide d’État illégale.

Au-delà des questions concernant la qualification d’aide d’État de ces tarifs avantageux, le respect du montant sous lequel la mesure ne constitue pas une aide d’État et l’exemption de notification préalable à la Commission européenne pour les aides versées pour la protection de l’environnement, la chambre commerciale devait également déterminer si le préjudice subi par les producteurs d’électricité d’origine photovoltaïque, n’ayant pas pu profiter des tarifs avantageux non notifiés à la Commission européenne devait être considéré comme réparable ou non.

Les demandeurs ont rappelé l’arrêt CELF de la CJUE (CJUE, 12 févr. 2008, C-199/06, Centre d’exportation du livre français (CELF) et Ministre de la Culture et de la Communication contre Société internationale de diffusion et d’édition (SIDE). ECLI:EU:C:2008:79) pour soutenir que seule une déclaration d’incompatibilité de l’aide avec le marché intérieur pouvait aboutir à une décision de récupération et que l’illégalité d’une aide d’État à elle seule ne pouvait rendre irréparable le préjudice constitué par la privation de cette aide.

En réponse, la CJUE a, quant à elle, rappelé sa jurisprudence de laquelle il découle qu’une aide d’État illégale n’est pas régularisée dès lors qu’elle est déclarée compatible avec le marché intérieur (CJCE, 21 nov. 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et syndicat national des négociants et transformateurs de saumon contre République française, C-354/90 ; CJCE, 5 oct. 2006, Transalpine Ölleitung in Österreich, C-368/04, pt. 41 ;CJUE, 23 janv. 2019, Presidenza del Consiglio dei Ministri contre Fallimento Traghetti del Mediterraneo SpA, C-387/17, pt. 59). En effet, les actes pris en application d’un dispositif d’aide illégal sont invalides.

Elle rappelle, en dernier lieu, l’obligation des juridictions nationales de « sauvegarder les droits que les particuliers tirent de l’effet direct [de l’article 108, paragraphe 3, TFUE], en examinant si les projets tendant à instituer ou à modifier ces aides n’auraient pas dû être notifiés à la Commission européenne avant d’être mis à exécution et de tirer toutes les conséquences de la méconnaissance par les autorités nationales de cette obligation de notification ». La Cour de cassation en déduit que les plaignants ne pouvaient se prévaloir d’un préjudice « constitué de la perte de la chance de bénéficier d’un tarif procédant d’une aide d’État illégale, un tel préjudice n’étant pas réparable ».
 
Pour aller plus loin :
Pour de plus amples développements sur les aides d’État, voir le Lamy Droit économique et le Lamy Droit public des affaires.
Source : Actualités du droit