Succession d'entreprises et réception tacite de l'ouvrage

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La réception d'un ouvrage est la manifestation de la volonté du maître de l'ouvrage d'accepter les travaux, permettant l'ouverture des délais de mise à l'épreuve de la solidité de l'ouvrage, visés aux articles 1792 et suivants du Code civil.

Si la plupart du temps elle est expresse et se manifeste par la signature d'un PV de réception, assorti le cas échéant de réserves, la jurisprudence reconnaît l'existence de réceptions tacites lorsque l'attitude du maître de l'ouvrage témoigne de sa volonté non équivoque de réceptionner l'ouvrage, en l'espèce sa prise de possession et le paiement du solde des travaux.

 Sont principalement retenus deux éléments : le paiement du prix des travaux et la prise de possession de l'ouvrage.

La réception tacite s'apprécie donc au cas par cas et fait régulièrement l'objet de contentieux.

La question s'est récemment posée de savoir si la succession d'une entreprise à une autre pouvait être considérée comme une volonté des parties de mettre fin au contrat d'entreprise qui les lie, caractérisant ainsi l'existence d'une réception tacite des travaux litigieux.

Les faits de l'espèce étaient les suivants :

Les sociétés X et Y ont fait l'acquisition d'un immeuble, qu'elles ont revendu par lots, après travaux.

Les travaux d'aménagement ont été réalisés sous la maîtrise d'œuvre de M. T., architecte.

Les travaux de démolition, terrassement, gros œuvre, drainage ont été confiés à la société Z, entreprise de maçonnerie, béton armé, rénovation, assurée en responsabilité décennale auprès de la société A.

Les sociétés X et Y ont vendu les lots 1 à 6 à M. et Mme R. qui ont signé avec elles un accord transactionnel, aux termes duquel les deux sociétés ont acquis les biens et droits immobiliers acquis précédemment par les époux R.

Ultérieurement, la société Z étant défaillante, avec son accord à l'initiative du maître de l'ouvrage, elle a été remplacée par la société C.

Les deux sociétés ont assigné la société Z, l'assureur et M. T, architecte,  en indemnisation de leurs préjudices.

En cause d'appel, l'arrêt a énoncé que les travaux réalisés par la société Z n'avaient pas été réceptionnés par elles et a rejeté les demandes des sociétés X et Y au motif que le fait qu'une entreprise succède à une autre ne suffisait pas à caractériser l'existence d'une réception tacite :

"En application des dispositions de l'article 1792-6 du code civil, la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.La réception peut revêtir trois formes, réception expresse, réception tacite ou réception judiciaire.

En l'espèce, il apparaît qu'aucune réception expresse n'est intervenue pour les travaux effectués dans l'appartement des époux R aujourd'hui à nouveau propriété des sociétés X et Y. La réception peut cependant être tacite et ne pas être formalisée. Le paiement intégral du marché et la prise de possession de l'ouvrage réalisé peut être considéré comme valant réception tacite.

En l'espèce, la société Z n'aurait réalisé selon l'expert que 69,06 % des travaux prévus sur son devis accepté par le Maître de l'ouvrage le 12 février 2002. Il n'est pas contesté en cause d'appel que la société Z n'a pas été soldée en totalité des travaux résultant du devis. Seuls les travaux résultant de la situation numéro 7 de la société Z du 12 novembre 2002, c'est à dire correspondant à 69,06 % des travaux prévus ont été réglés.

Il n'est pas démontré que les sociétés X et Y aient manifesté la volonté claire et non équivoque de recevoir les travaux. La société Z a été défaillante en cours de chantier et a été remplacée par la société C. Le PV de chantier n°63 du 25 avril 2003 confirme que l'entreprise C a remplacé l'entreprise Z pour achever ses prestations. Cette dernière a ainsi arrêté ses prestations avant achèvement. Comme l'a retenu le premier juge, le fait qu'une entreprise succède à une autre ne suffit pas à caractériser l'existence d'une réception tacite. Dans ces circonstances, l'existence d'une réception tacite des travaux de la Sarl Z ne peut être retenue" (C.A., Aix-en-Provence, 29 janvier 2015, n° 13/18091).

Les sociétés venderesses ont formé un pourvoi soutenant que la fin du contrat d'entreprise qui les liait à la société Z caractérisait l'existence d'une réception tacite des travaux, nécessaire à l'engagement de la responsabilité de cette dernière sur le fondement des articles 1792 et suivants du Code civil.

Tel n'a pas été l'avis de la haute juridiction qui, confirmant l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, a estimé que :

" La cour d'appel a retenu, à bon droit, que le fait qu'une entreprise succède à une autre ne suffisait pas à caractériser l'existence d'une réception tacite" (Cass. civ. 3, 19 mai 2016, n° 15-17.129).

Ainsi, l'hypothèse d'un changement d'entreprise en cours de chantier ne suffira pas, à elle seule, à établir la reconnaissance d'une réception des travaux.

B. BEAUVERGER

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